Le secteur de l’énergie, comme la plupart d’autres secteurs, subit des changements profonds qui remodèlent la façon dont le travail est effectué, en particulier dans le contexte géopolitique et économique actuel. Les entreprises du secteur de l’énergie des différentes régions du Canada sont toutes confrontées à des changements démographiques de la main-d’œuvre, au vieillissement des systèmes, à l’évolution rapide des technologies, aux bouleversements sociaux et économiques et à la transition énergétique[i]. Face à ces enjeux, l’industrie doit repenser ses processus et trouver de nouveaux moyens d’améliorer la productivité, tout en maintenant l’approvisionnement et la sécurité.
La main-d’œuvre est au cœur même du changement. En effet, les entreprises du secteur de l’énergie d’aujourd’hui ont toujours eu le choix des talents, produits en abondance par les systèmes éducatifs, pour soutenir le fonctionnement des systèmes énergétiques existants qui dépendent fortement d’une main-d’œuvre qualifiée désireuse de faire carrière dans ce secteur. Cependant, cette hypothèse de la disponibilité d’une réserve de talents inépuisable est désormais irrémédiablement remplacée par la réalité d’une pénurie de talents permanente. Le nombre de diplômés en études sur le pétrole aux États-Unis a atteint un niveau record de 2 615 en 2017, et aujourd’hui, se situe à 679[ii].
Le présent article est le premier d’une série consacrée à la main-d’œuvre de demain. Dans cet article, nous appesantirons sur le yin qui renvoie aux défis auxquels les entreprises sont confrontées pour trouver et développer la main-d’œuvre dont elles ont besoin pour soutenir le système énergétique dont nous dépendons. Dans le prochain article, nous examinerons le yang, c’est-à-dire les possibilités qui s’offrent aux entreprises qui parviendront à repenser l’avenir du travail à travers le prisme de la main-d’œuvre. Ces deux aspects d’une même problématique posent les jalons d’une évolution judicieuse de l’activité des entreprises vers un avenir plus radieux.
1. Changements démographiques et de la main-d’œuvre
L’industrie de l’énergie est confrontée à un problème majeur : sa main-d’œuvre vieillit et le nombre de personnes qui rejoignent le secteur est en baisse. À leur départ à la retraite, les travailleurs expérimentés emportent avec eux des connaissances et des compétences essentielles aux entreprises.
L’immigration avait souvent contribué à combler les déficits de main-d’œuvre, mais le durcissement des règles d’immigration dans certains pays rend plus difficile l’embauche de talents internationaux. Le Canada a récemment annoncé des plans visant à réduire le niveau d’immigration, et l’administration Trump devrait également recommencer à resserrer l’accès au marché du travail[iii]. Cette situation intensifie davantage la pression pour trouver des travailleurs qualifiés sur un marché du travail déjà réduit.
Le déclin de l’intérêt pour les carrières dans le domaine de l’énergie est également un problème connexe. En effet, moins d’étudiants choisissent d’étudier dans des domaines tels que l’ingénierie et la géologie, et certaines universités ont même supprimé des programmes de formation aux métiers de l’énergie. L’Université de Calgary en l’occurrence, qui forme la majorité des ingénieurs pétroliers, a suspendu les admissions à son programme en 2021[iv]. Les meilleurs ingénieurs sont désormais attirés par le secteur technologique, laissant l’industrie de l’énergie en proie à des difficultés pour trouver de nouveaux talents. Du fait de ces tendances, il est désormais difficile pour les entreprises du secteur de l’énergie de s’adapter et de répondre à l’évolution de la demande.
2. Lacunes en matière de compétences et de technologies
Les nouvelles technologies telles que l’intelligence artificielle, la robotique et l’analytique avancée transforment le mode de fonctionnement des entreprises du secteur de l’énergie. Cependant, de nombreuses organisations ne disposent pas de suffisamment de travailleurs qualifiés pour tirer pleinement parti de ces outils. Les postes dans des domaines tels que la science des données, la cybersécurité et l’automatisation sont difficiles à pourvoir, ce qui ralentit l’avancement de projets importants. L’on compte plus de 3,5 millions d’emplois non pourvus dans le domaine de la cybersécurité à travers le monde[v].
Ce problème est aggravé par la forte dépendance à l’égard de systèmes plus anciens et, dans certains cas, obsolètes. De nombreuses entreprises travaillent avec des technologies conçues il y a plusieurs dizaines d’années. Ces systèmes ne sont pas compatibles avec les outils modernes, ce qui crée des inefficacités et freine l’innovation. Dans certains cas, les sociétés de capital-investissement qui possèdent ces systèmes se concentrent davantage sur les bénéfices à court terme que sur les mises à jour nécessaires, laissant les entreprises encore plus à la traîne. En outre, les jeunes employés exigent des interfaces modernes et des outils numériques. Les enquêtes de Google suggèrent que plus de 80 % des jeunes employés utilisent déjà des outils d’IA au travail[vi].
Avec le départ à la retraite des travailleurs expérimentés, le problème se complique encore. Ces travailleurs possèdent souvent des connaissances approfondies sur le maintien des anciens systèmes, des connaissances qui ne sont pas transmises à la nouvelle génération. Sans employés qualifiés pour assurer le bon fonctionnement de l’entreprise ou pour guider la transition vers des technologies plus récentes, les entreprises ont du mal à rester concurrentielles.
3. Contraintes économiques et structurelles
Les pressions financières constituent un autre obstacle majeur pour les entreprises du secteur de l’énergie. En effet, avec la baisse des cours des actions et des ratios cours/bénéfice, les entreprises du secteur de l’énergie peinent à se tourner vers l’avenir. De nombreuses entreprises utilisent plutôt les fonds disponibles pour racheter des actions et en faire ainsi augmenter le prix. Il reste donc peu d’argent pour moderniser les systèmes ou améliorer la productivité. En 2023, le ratio cours/bénéfice d’Apple était supérieur à 27, contre 11,5 pour Exxon[vii].
La détention de nombreux actifs énergétiques par des fonds d’investissement privés ne fait qu’aggraver le problème. Ces investisseurs se concentrent souvent sur les bénéfices à court terme plutôt que sur les améliorations à long terme. Ils préfèrent continuer à utiliser des systèmes obsolètes de plus en plus coûteux à entretenir et difficiles à remplacer.
La mise à jour de ces systèmes n’est pas une tâche facile. De nombreuses technologies anciennes sont fortement (et manuellement) connectées à d’autres parties de l’entreprise, ce qui rend difficile le remplacement d’un seul élément sans perturber l’ensemble de l’opération. Il en résulte une « dette technologique » grandissante : plus les mises à jour sont retardées, plus elles sont coûteuses et risquées. Le CISQ estime que le coût annuel de cette dette pour l’économie américaine s’élève à 2,4 billions de dollars en raison des défaillances opérationnelles et de la cybersécurité, de l’échec des projets de développement et de la maintenance des systèmes obsolètes[viii]. Par ailleurs, les entreprises dépendent fortement des travailleurs âgés pour entretenir ces systèmes. Ainsi, lorsque ces employés partent à la retraite, il devient pratiquement impossible d’assurer le bon fonctionnement de l’entreprise. La dette arrive inévitablement à échéance au moment le moins opportun.
4. Obstacles liés à la culture et à la perception
La culture de l’industrie de l’énergie constitue un autre frein au changement. De nombreuses entreprises préfèrent la stabilité à l’expérimentation, ce qui rend plus difficile l’adoption de nouvelles technologies ou de nouveaux modèles de travail. Cet état d’esprit de prudence ralentit les progrès et maintient les organisations dans des méthodes de travail dépassées.
Par ailleurs, la perception du public joue également un rôle important. De nombreuses personnes, en particulier les jeunes travailleurs, considèrent l’industrie de l’énergie comme dépassée ou nocive pour l’environnement. Ces impressions négatives font qu’il est plus difficile pour les entreprises d’attirer la prochaine génération de talents. 50 % des membres de la génération Z indiquent qu’ils font activement pression sur les entreprises pour qu’elles prennent des mesures contre les changements climatiques[ix]. Néanmoins, des secteurs comme la technologie et l’énergie propre sont considérés comme plus innovants et plus en phase avec les valeurs de la population, attirant ainsi les talents des entreprises traditionnelles du secteur de l’énergie.
Ces problèmes culturels et de perception créent un cycle difficile à briser. Si les entreprises du secteur de l’énergie ne redéfinissent pas leur image, elles continueront à avoir du mal à attirer les talents et à adopter les changements nécessaires pour rester concurrentielles.
5. Pressions mondiales et concurrentielles
Le secteur de l’énergie opère sur un marché mondial où la concurrence pour les talents est féroce. La montée du nationalisme et le durcissement des règles d’immigration dans certains pays font qu’il est plus difficile pour les entreprises d’embaucher des travailleurs qualifiés à l’étranger. Le défi est particulièrement difficile à relever pour les rôles dans les domaines de l’ingénierie, de la science des données et de l’automatisation, où l’on ne trouve pas suffisamment de candidats qualifiés au niveau local.
En outre, l’industrie de l’énergie est en train de perdre du terrain par rapport à d’autres secteurs, en particulier celui de la technologie. Les entreprises technologiques offrent des options d’achat d’actions, des environnements de travail flexibles et des parcours de carrière passionnants que les entreprises énergétiques traditionnelles ont du mal à égaler[x]. Les jeunes travailleurs sont de plus en plus attirés par ces avantages, ce qui rend la concurrence du secteur de l’énergie encore plus difficile.
Le problème est aggravé par la « fuite des cerveaux » vers les marchés émergents. Ces régions connaissent une croissance rapide de leur secteur énergétique et offrent aux travailleurs des possibilités d’avancement et des salaires plus élevés. Comme ces marchés ne sont pas encombrés par d’anciens systèmes, ils peuvent adopter les nouvelles technologies plus rapidement, ce qui les rend encore plus attrayants pour les talents internationaux.
Pour réduire la pression exercée par ces tendances, les entreprises du secteur de l’énergie doivent repenser leur dépendance à l’égard de la main-d’œuvre humaine. L’automatisation des tâches répétitives et l’utilisation de technologies avancées permettront aux entreprises de réduire leur dépendance à l’égard d’une réserve de talents qui se raréfie et de mobiliser leur main-d’œuvre sur des activités à plus forte valeur ajoutée.
Conclusion : relever les défis de la main-d’œuvre
Le secteur de l’énergie est à la croisée des chemins. Des défis tels que le vieillissement de la main-d’œuvre, les déficits de compétences, les pressions financières et la concurrence mondiale contraignent les entreprises à repenser leur mode de fonctionnement. Il ne s’agit pas seulement de problèmes à résoudre, mais de signaux indiquant que les méthodes de travail traditionnelles ne suffisent plus dans un monde en évolution rapide.
L’avenir de l’énergie repose sur l’innovation. Les entreprises doivent devenir plus agiles, en adoptant des processus et des technologies modernes pour réduire leur dépendance à l’égard de la main-d’œuvre humaine tout en améliorant leur efficacité. Les entreprises doivent en outre reconnaître que le changement ne se traduit pas nécessairement par une augmentation des risques. En adoptant la bonne approche de gestion des risques, l’innovation peut permettre des opérations plus sûres et plus fiables, où les données modernes améliorent à la fois les opérations et la sécurité.
L’automatisation des tâches routinières et la modernisation des systèmes sont des solutions importantes pour relever ces défis en matière de main-d’œuvre et aideront les entreprises du secteur de l’énergie à rationaliser leurs opérations et à se positionner en vue d’un succès à long terme. Ces efforts doivent néanmoins servir à renforcer la capacité d’agir rapidement et de manière décisive sur la base d’informations fondées sur des données. Des données fiables permettent de prendre des mesures fiables, et les entreprises du secteur de l’énergie devraient insister pour que leurs processus décisionnels reposent sur des renseignements fiables et en temps réel.
Mais chaque défi est une occasion à saisir. Bien que ces enjeux soient préoccupants, ils ouvrent également la voie à des idées audacieuses et à des solutions transformatrices. Dans le prochain article, nous explorerons le yang, à savoir les possibilités qui émergent parallèlement à ces défis. Des travailleurs connectés aux usines intelligentes, l’avenir de l’énergie recèle un incroyable potentiel de croissance et d’innovation.
Le chemin à parcourir sera semé d’embûches, mais il est indéniable que les entreprises qui réussiront à embrasser le changement et à s’attaquer de front à ces défis ouvriront la voie à la formation de la main-d’œuvre de demain.
Cet article a été co-écrit par les deux experts suivants :
Si vous souhaitez obtenir plus d'information sur notre travail dans ce domaine, n'hésitez pas à communiquer avec Peter:
[i] World Economic Forum. Rapport sur l’avenir de l’emploi 2023. Genève, Suisse : World Economic Forum, 2023.
[iii] « Renforcement des programmes de résidence temporaire pour des volumes durables », gouvernement du Canada, dernière modification septembre 2024,
[iv] Calendrier de l’Université de Calgary : programme de génie pétrolier, consulté le 23 janvier 2025,
[v] « Cyber Leaders Struggle to Fill AI Security Jobs », Wall Street Journal, consulté le 23 janvier 2025,
[vi] « New Research from Google Workspace and the Harris Poll Shows Rising Leaders Are Embracing AI to Drive Impact at Work, » PR Newswire, dernière modification le 19 octobre 2023,
[vii] « S&P 500 Information Technology Sector Price-to-Earnings Ratio », World P/E Ratio, dernière modification le 22 janvier 2025,