De nouveaux modes de consommation apparaissent, plus connectés, plus vertueux, plus écologiques. Mais comment les concilier avec la préservation du pouvoir d’achat ? Et quelles sont les conséquences pour les enseignes ? Delphine Duée, Directrice Retail et Adrien Tuza, Manager Retail au sein de CGI Business Consulting lancent le débat.
« Mieux consommer », qu’est-ce que ça implique concrètement ?
Delphine Duée : Il faut d’abord rappeler que le pouvoir d’achat est la priorité de 75 % des Français, devant la santé et l'environnement. Une consommation responsable est par conséquent un peu antinomique de la préservation du pouvoir d’achat puisque cela implique des produits de meilleure qualité - bio et locaux par exemple -, donc plus chers.
Adrien Tuza : Les Français votent autant avec leur carte bleue qu’avec leur carte d’électeur ! La limite est bien celle de leur pouvoir d’achat. Mais il est quand même possible d’adopter des pratiques de consommation vertueuses : éviter le gaspillage alimentaire, préférer les transports publics à la voiture individuelle, réparer plutôt que jeter, etc.
Comment ces nouveaux modes de consommation changent-ils le secteur de la distribution ?
Adrien Tuza : De plus en plus de distributeurs se lancent sur le marché des produits de seconde main comme Fnac Seconde Vie, Darty Occasion, Carrefour Occasion ou encore Back Market, une des licornes françaises les plus valorisées à ce jour. Cette tendance du réemploi est en hausse : 29 % des Français ont acheté un produit d'occasion en 2021, contre 16 % en 2018. Et puis, il y a aussi l’envie de « consommer moins » : Decathlon propose ainsi à ses clients la location de produits de sport. À quoi bon acheter un paddle quand on va à la mer une fois par an ? Autant le louer, c’est plus économique et écologiquement plus vertueux.
Delphine Duée : Ces sujets de fond auxquels tous les distributeurs réfléchissent actuellement sont en fait imposés par les consommateurs qui souhaitent plus de transparence, réduire les intermédiaires, aller vers des produits durables et pouvoir les réparer quand ils tombent en panne. Ils attendent des engagements concrets de la part des enseignes. Celles qui ne l'ont pas fait devront se positionner rapidement sous peine d’être dépassées par la concurrence.
Quelles opportunités offre le digital pour mieux consommer à moindre coût ?
Delphine Duée : L'innovation technologique permet entre autres d’élargir son réseau de distribution, de rapprocher le consommateur du producteur, de consommer à moindre coût, de réduire le gaspillage et d’améliorer la traçabilité des produits. C’est ce qu’ont bien compris des plates-formes comme Vinted pour l’achat et la vente de vêtements et accessoires d’occasion ou Too Good To Go qui permet de récupérer à prix réduit les invendus des restaurants et métiers de bouche.
Adrien Tuza : Carrefour de son côté travaille sur la blockchain, afin d’assurer la traçabilité sécurisée et infalsifiable des produits distribués dans ses points de vente en suivant étape par étape tous les intermédiaires de ses filières qualité.
Le cadre réglementaire aide-t-il à maîtriser la baisse du pouvoir d’achat ?
Adrien Tuza : C'est simple, le consommateur ne pourra pas changer les choses tout seul ! Les distributeurs et les politiques peuvent et doivent les accompagner. Ainsi, la loi Anti gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) nous permet, en tant que consommateurs, de connaître par exemple l'indice de réparabilité d'un produit. Il y a aussi des distributeurs qui s'engagent à fournir des pièces détachées à plus long terme. Grâce à la loi, les acteurs de la distribution intègrent cette dimension de réparabilité et de réemploi.
Delphine Duée : Il faut noter également la loi dite Egalim 2 d’octobre 2021, qui vise à protéger la rémunération des agriculteurs et rééquilibrer les relations commerciales entre les différents maillons de la chaîne alimentaire, en intégrant notamment les marques de distributeurs. La Fédération nationale bovine et Lidl ont ainsi annoncé lors du dernier salon de l’agriculture la mise en place d’un « rémunéra-score », un dispositif d’étiquetage qui permet de savoir dans les rayons si la viande bovine a été achetée au bon prix pour l'agriculteur. C'est une nouveauté qui va dans le bon sens.