Pour neuf Français sur dix, la santé est une préoccupation majeure. Quelles sont les priorités de la filière pour améliorer notre système de santé ? Quelles transformations initier, voire accélérer ?
Le point avec Isabelle Barbier, Directrice Life Sciences – Secteur privé et Ronan Guellec, Directeur Santé – Secteur public au sein de CGI Business Consulting.
Quelles sont les demandes, sur le terrain, des acteurs privés et publics de santé ?
Ronan Guellec : Les patients sont à l’origine d’une révolution copernicienne que la crise sanitaire a accélérée. Ce qui émerge et augmente, c'est la demande de relations de soins “5 P” : préventive, prédictive, probante, participative et personnalisée. Pour y répondre, c’est tout un écosystème de soins qui se met en place avec la constitution d’une filière autour d’opérateurs publics et d’industries de santé, y compris de nombreuses startup. La demande de parcours de soins coordonnés en découle. Avec comme conséquence de sortir progressivement d'une offre en organisations cloisonnées qui caractérise notre système actuel de santé… et qui n’est plus adaptée.
Isabelle Barbier : Les demandes des industries de la santé se focalisent en partie sur son cœur d’activité : la Recherche et l'Innovation. D’une part, les montants alloués des Crédits Impôts Recherche pourraient être en adéquation avec les financements proposés dans les autres pays. D’autre part, le décloisonnement de la Recherche académique et de la Recherche industrielle devrait être accéléré. Enfin, les instances gouvernementales devraient permettre une simplification des demandes de traitement des dossiers émanant des industriels et proposer une meilleure réactivité de leurs réponses. À titre d’exemple, entre la demande pour un essai clinique et l'inclusion du premier patient, un industriel doit attendre en moyenne 204 jours en France contre 189 jours en Espagne.
Faut-il rétablir une souveraineté sanitaire nationale ?
Ronan Guellec : Elle n'a jamais cessé d’exister ! Les évacuations de malades d’une région à l’autre pendant la crise pandémique ont été gérées souverainement au niveau national. Ce qui change, c’est que la santé devient un enjeu quasi régalien, à ce niveau mais aussi en Europe. L’échelle d’action, c’est ça le sujet. La réduction contre les inefficiences dans la coordination et l'organisation des soins, qui constituaient 20 % des dépenses de santé en 2017 selon l’OCDE, est un vrai sujet de souveraineté nationale. Comme la mise en place d’innovations permettant d’améliorer les parcours de soins, par exemple, pour la prise en charge à domicile des patients en difficulté pour se déplacer chez leur médecin. C'est par ces leviers-là qu'au niveau national, on peut agir. L’échelle européenne est à l’évidence plus efficace pour gérer les crises pandémiques ou assurer au citoyen la disponibilité de ses données de santé lorsqu’il se déplace d’un pays à l’autre.
Isabelle Barbier : Les industries de la santé s’appuient sur les stratégies industrielles nationales. Le gouvernement français, en concertation avec les autres pays européens, pourraient définir des stratégies fortes de relocalisation industrielle des produits de santé stratégiques. Quels produits voulons-nous fabriquer en France ou en Europe pour éviter les risques de pénurie ?
Quelle transformation digitale pour le système de santé français ?
Isabelle Barbier : Le secteur privé montre un dynamisme extrêmement important autour des solutions de santé numérique. Le marché mondial est estimé à 234 milliards de dollars à l’horizon 2030. En France, il y a aujourd'hui plus de 1 700 Health Techs qui seront en capacité en 2030 de générer 130 000 emplois sur notre territoire pour apporter des solutions technologiques à 250 millions de patients partout dans le monde !
Ronan Guellec : La transformation digitale est un moyen au service du patient et du professionnel de santé, de leurs usages et au bénéfice de la relation de soins augmentée. Le sujet, c’est de changer d’échelle, en simplifiant l’accès aux données de santé et en structurant la filière du numérique en santé. L’ouverture de Mon espace santé l’illustre : en deux ans, l’objectif est de passer de dix à 250 millions de documents échangés via le dossier médical personnel et les messageries sécurisées de santé.
Quels pourraient être les axes de rapprochement des secteurs de santé public et privé ?
Isabelle Barbier : Les industries de la santé ont besoin d'avoir accès aux richesses des bases de donnée des instances gouvernementales, notamment celle de la France qui est unique au monde. Cela permettrait aux industriels de mieux connaître les patients. Les décisions d’orientation de Recherche et d’Innovation des produits de santé en seraient plus éclairées. Il faut savoir ce qui se passe dans la vraie vie, au-delà de ce qui est observé lors des études cliniques.
Ronan Guellec : La capacité de réponse aux crises et la satisfaction des besoins des patients-usagers nécessitent d’articuler différemment deux approches. D’une part l'analyse bénéfices-risques, médicaux, scientifiques et financiers, d’autre part la vision des externalités positives, c'est-à-dire socialement parlant, des innovations qui vont profiter au patient dans son territoire de vie. Pour cela, il est important de prendre appui sur l’écosystème et sur des acteurs, élus et entrepreneurs, à la fois agiles et familiers avec ces deux approches.