Alors que le salon Hyvolution qui s’est tenu en février dernier a démontré le dynamisme de la filière, et une forte mobilisation de ses acteurs, la PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Energie), publiée le 23 avril dernier, a confirmé les objectifs assignés à la filière en 2019 tout en mettant l’accent sur sa décarbonation.
Si l’hydrogène suscite autant d’intérêt depuis plusieurs années, c’est parce que ce vecteur énergétique offre de nombreux avantages : possibilité de stockage et de transport, forte densité énergétique massique et usages multiples que nous allons passer ici en revue.
L’hydrogène dans les process industriels
La France produit près d’un million de tonnes d’hydrogène par an, dont la grande majorité est consommée par des process industriels (raffinerie, chimie, métallurgie, etc.). A elles seules, les raffineries consomment plus de 60% de ce volume. Parce que cet hydrogène est aujourd’hui produit à 95% par vaporeformage, gazéification ou oxydation partielle de l’énergie fossile (procédés émetteurs de gaz à effet de serre), la PPE ambitionne de porter le taux d’hydrogène décarboné dans l’industrie à 10% en 2023 et de 20 à 40% d’ici 2028.
Aujourd’hui, les gros consommateurs d’hydrogène le produisent directement sur site. Pour les usages plus diffus (électronique, verrerie, agroalimentaire), l’hydrogène est transporté par camion, ce qui entraîne un surcoût important. Dès lors, une production locale par électrolyse, présente un double intérêt économique et environnemental, si tant est que l’électricité utilisée soit bas-carbone. Le marché des électrolyseurs est ainsi en plein essor, comme en témoignent l’investissement d’EDF dans McPhy et les différentes prises de position de Total, Engie, Areva ou encore Air Liquide. Ce dernier vient d’ailleurs d’annoncer la construction du plus gros électrolyseur à membrane au monde, avec Hydrogenics, au Québec.
Le seul marché de la décarbonation des raffineries nécessitera le déploiement de 24 GW d’électrolyseurs en Europe, et 140 GW pour décarboner tous les usages de l’hydrogène à l’échelle mondiale d’ici 2023. Cependant, pour atteindre cet objectif, les équipementiers devront améliorer la compétitivité des électrolyseurs autour de trois axes : augmentation de la puissance unitaire des modules (travaillant à plus haute pression ou température afin de réduire la consommation électrique, qui représente jusqu’à 80% du coût de production de l’hydrogène), réduction de leur taille (permettant une intégration plus aisée sur site et une réduction des coûts fonciers) et développement des technologies à membrane, plus adaptées aux variations de puissance des sources ENR.
Pour encourager ces évolutions, l’ADEME a lancé dernièrement l’A.M.I. « Projets innovants d’envergure européenne ou nationale sur la conception, la production et l’usage de systèmes à hydrogène », qui cible précisément ce passage des projets à l’échelle industrielle pour en réduire le coût.
L’atteinte des objectifs de la PPE devra aussi passer par une plus grande valorisation de l’hydrogène « fatal », pour être coproduit ou sous-produit par des process industriels comme l’hydrogène issu de la production de Chlore, et l’exploration de procédés émergents avec l’électrolyse microbienne ou la fermentation biologique.
L’hydrogène pour la mobilité
Un autre usage clé de l’hydrogène réside dans la production d’électricité via une pile à combustible. Avec son caractère mobile, une bonne maturité technologique et des coûts en baisse, cette technologie séduit de plus en plus les acteurs de la mobilité, qui y voient le moyen de prolonger l’autonomie des véhicules légers et d’électrifier les véhicules lourds qui ne peuvent se satisfaire d’une batterie : bus, poids lourds, transports fluviaux et maritimes et peut-être un jour l’aérien.
Pour développer la mobilité hydrogène, la PPE cible prioritairement les flottes captives d’utilitaires et le transport routier, en fixant des objectifs de 5 000 utilitaires légers en circulation en 2023, puis 20 000 à 50 000 d’ici 2028, ainsi que 200 véhicules lourds d’ici 2023 et 800 à 2 000 à l’horizon 2028.
L’appel à projet mobilité lancé par l’ADEME en 2019 a retenu 20 projets qui devraient permettre d’atteindre 43% de l’objectif du nombre de stations de recharge visé par la PPE pour 2023, 42% du nombre de véhicules légers et 79% de celui de véhicules lourds. Des chiffres encourageants, qui démontrent une forte mobilisation des acteurs.
Avec son nouvel A.M.I., « EMHYSFER 2020 », l’ADEME soutient désormais le développement de la mobilité ferroviaire hydrogène pour la décarbonation des dessertes fines fonctionnant au diesel, domaine dans lequel Alstom a une longueur d’avance avec sa motrice à hydrogène « Coradia iLint », déjà déployée en Allemagne et aux Pays-Bas. Pour la France, Alstom développe une version bi-mode, permettant de basculer vers une alimentation par caténaire sur les portions électrifiées du réseau ferré.
Comme l’a précisé, lors du salon Hyvolution, Gautier Chatelus, Directeur de la Banque des territoires, « il existe une complémentarité des cas d’usages traités par ces filières d’avenir » : plutôt qu’une concurrence entre modes de propulsion, on assiste à une répartition progressive des carburants par usage : véhicule à batterie électrique, au GNV (Gaz Naturel Véhicule) ou à pile à combustible.
« L’hydrogène pour « le Power-to-Gas »
Cependant, l’usage le plus disruptif de l’hydrogène réside dans sa capacité à créer une synergie vertueuse entre les réseaux électriques et gaziers, grâce à deux procédés complémentaires : le « Power-to-Gas » permet de produire de l’hydrogène à partir d’électricité (idéalement renouvelable). L’hydrogène ainsi produit pourra être soit utilisé immédiatement, soit injecté dans le réseau de gaz naturel, soit stocké pour une utilisation ultérieure. Inversement, la « méthanation » permet de régénérer du gaz naturel (méthane de synthèse) à partir d’hydrogène et de CO2. L’hydrogène représente ainsi « le moyen le plus prometteur de stockage massif inter-saisonnier des énergies renouvelables électriques intermittentes », décrit la PPE, qui assigne aux démonstrateurs Power-to-Gas un objectif de capacité de 1 à 10 MW en 2023, puis de 10 à 100 MW d’ici 2028.
Si l’incorporation d’hydrogène dans les réseaux de gaz naturels est aujourd’hui techniquement validée, elle ne constitue pour l’instant qu’un pis-aller permettant de verdir le réseau de gaz, car elle n’a pas encore prouvé sa viabilité économique.
Par ailleurs, le choix entre un modèle de production et de consommation local, et celui d’une plus grande centralisation, est loin d’être tranché et demeure crucial pour le développement de l’hydrogène, sachant qu’un modèle centralisé amènerait nécessairement à développer des réseaux de transport dédiés, comme celui exploité par Air Liquide à la frontière entre les Pays-Bas, la Belgique et la France.
L’hydrogène pour dynamiser les territoires et l’emploi
La montée en puissance de l’hydrogène se décline très concrètement dans les territoires : plusieurs régions se sont engagées dans le développement de la filière, avec la volonté de constituer un écosystème régional de l’hydrogène (Occitanie, Normandie et Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, PACA, …), et annoncent des investissements importants (150 M€ rien que pour la région Occitanie).
Les collectivités territoriales jouent un rôle crucial dans le développement des projets hydrogène, à la fois initiateur, chef d’orchestre et facilitateur. A titre d’exemple, on peut citer le projet de production d’hydrogène vert « HyGreen », lancé à l’initiative de la communauté d’agglomération de Durance-Luberon-Verdon, qui a su rassembler un large écosystème d’acteurs permettant la création d’une chaîne de valeur locale couvrant la production d’électricité verte avec Engie, la production d’hydrogène, sa distribution avec Air Liquide, son stockage de l’hydrogène en cavité saline avec Géométhane et Storengy, sans oublier de prévoir des débouchés locaux (stations de recharge, alimentation d’un éco-quartier…) qui permettent de dynamiser les territoires et l’emploi.
La filière de l’hydrogène vert a aujourd’hui atteint un stade de développement comparable à celui de la filière ENR dans les années 2000. A l’image de cette dernière, l’hydrogène a un avenir prometteur mais son succès dépendra de notre capacité à relever les défis que constituent l’industrialisation de la chaîne de valeur, la massification des usages, le financement de l’innovation ou la gestion des garanties d’origine. Les territoires ont montré leur engagement et la France dispose dorénavant d’une feuille de route claire. Il reste désormais à souhaiter que l’Union européenne précise également ses ambitions pour l’hydrogène dans son Pacte vert (« European Green Deal »).