La joie ou la douleur ressentie selon les quatre différents cas de changement sont relatives à la gravité de la situation. On le conçoit bien, perdre son emploi est différent de perdre sa carte de crédit. Le plaisir ou la souffrance découlant du changement sont également relatifs à notre capacité d’adaptation; elle-même fortement liée à la lecture que nous faisons de la réalité. Voilà pourquoi, lors d’un changement organisationnel, il sera possible d’adopter une réponse adaptée à chaque attitude dans le but de modifier les perceptions. En fait, nous avons la prétention de faire évoluer les attitudes du bas de notre tableau vers le haut, tout en gérant adéquatement les attitudes du haut. Le tableau suivant fait état des stratégies à adopter selon les cas.
Stratégie en cas de choc (changement inattendu et non souhaité)
Le gestionnaire du changement doit faire preuve d’empathie envers ceux qui subissent un tel choc. Ce serait une grave erreur de s’adresser à ces personnes en faisant montre d’enthousiasme pour le changement. La meilleure stratégie pour le gestionnaire du changement consiste à comprendre et à respecter cette réaction, qui est normale dans une telle situation, et à retarder le plus possible la mise en œuvre du changement proprement dit. De cette façon, les personnes touchées par le changement auront le temps de mieux comprendre ce qui leur arrive et pourquoi cet événement leur arrive et pourront se diriger progressivement vers l’acceptation et la résignation.
Stratégie en cas d’une attitude de résignation (changement non souhaité, mais attendu)
Lorsque les destinataires du changement sont résignés, ils sont prêts à envisager l’avenir de manière progressive et la meilleure chose à faire est de leur présenter les possibilités qui s’offrent à eux. Même une mise à pied peut comporter des avantages : indemnité de départ, réorientation de carrière, formation, nouvel emploi, nouveaux défis. Le gestionnaire du changement ouvrira cette fenêtre de possibilités peu à peu en respectant le degré d’acceptation des personnes. Autre exemple : s’il faut remplacer un outil informatique très populaire par un autre moins connu, inutile de vanter trop rapidement les mérites du nouvel outil. Il vaudra mieux laisser ce soin aux destinataires eux-mêmes lorsqu’ils auront l’outil entre les mains (ce qui peut très bien être fait bien avant la mise en œuvre générale).
Stratégie à suivre en cas de scepticisme (changement souhaité, mais non attendu)
Je me souviens d’un projet de mise en œuvre d’un PGI dans une usine de meubles. Cette usine utilisait de vieux outils informatiques, la plupart non soutenus par les fabricants et indépendants les uns des autres, et on n’en finissait plus de corriger, de reprendre et de faire des ponts. Ce changement, fort souhaité, avait été promis chaque année pendant six ans, mais toujours reporté. Nous en étions à la septième année! C’est à ce moment que l’usine a fait appel à notre aide. Seuls le président et quelques directeurs savaient le sérieux du projet. Tous les autres l’ignoraient et avaient, en fait, perdu confiance! Devant le scepticisme général, nous avons adopté la stratégie « fanfare et trompettes », c’est-à-dire faire la démonstration éclatante et convaincante que cette fois-ci était la bonne. Nous avons réuni tous les employés dans une grande salle. Le président était à l’avant avec ses directeurs, sourires aux lèvres. L’équipe de projet était située derrière eux. L’annonce a été faite, la planification du projet exposée, la structure de projet présentée. Une visite des locaux spécialement aménagés pour la nouvelle équipe de projet avait été offerte. À la fin de la présentation, je me souviens avoir entendu dire : « Ils ont l’air pas mal sérieux cette fois-ci! ». Quelques semaines plus tard, nous devions gérer l’enthousiasme général.
Stratégie en cas d’enthousiasme (changement attendu et souhaité)
Lorsqu’un enthousiasme est démontré par les destinataires, il se passe un phénomène fort humain : on imagine que le changement va régler tous nos problèmes et on voudrait que le changement ait lieu rapidement. L’équipe de projet doit éviter de suivre ce courant. Elle doit adopter une attitude réaliste, quitte à moins promettre pour livrer plus. Dans le cas contraire, les destinataires auront l’impression que la solution sera le nirvana et ils risquent de tomber de haut lorsqu’ils auront la réalité sous les yeux. La prudence est donc de mise et il faut éviter la surenchère des attentes. Nous allons dire : « Oui, la solution va régler ceci, mais elle ne réglera pas cela tout de suite » ou, utilisant un ton très terre à terre : « Voici la liste des changements que nous allons traiter, mais tel ou tel élément ne le sera pas. » De cette manière, on conserve la maîtrise des attentes et quand la mise en œuvre survient, il n’y a pas de déception.
La stratégie doit s’adapter à chaque attitude constatée, car pour le même changement, un groupe pourrait réagir de façon enthousiaste et un autre être sous le choc. Enfin, les attitudes varient en cours de projet et la stratégie doit être modifiée en conséquence. Prenons par exemple le scepticisme des employés de l’usine de meubles qui se transforme en enthousiasme grâce à notre bon travail.
Une bonne stratégie de gestion du changement prend toujours en compte les attitudes des destinataires. Mais la réalité organisationnelle est complexe et le modèle présenté ne fournit qu’un angle de lecture. Une stratégie de gestion du changement valable peut être élaborée à partir de cet angle, mais il en existe d’autres, comme la légitimité du changement, la capacité de changer de l’organisation ou la valeur du portefeuille de projets. La meilleure stratégie sera celle qui tient compte de l’ensemble des variables observées.