La question environnementale dans la stratégie d'Air France. Quatre questions à Eric Prévot, Commandant de bord chez Air France
Alors que le trafic aérien mondial progresse de manière exponentielle (4,2 milliards de passagers transportés en 2018, 8,2 milliards d'ici 2037 selon l’IATA), le phénomène de « flygskam », ou honte de prendre l’avion, prend de l’ampleur. Pourtant, le secteur a réalisé de nombreux efforts et s’est même engagé à ne pas accroître ses émissions de CO2. Eric Prévot, Commandant de bord chez Air France, nous explique comment l’entreprise intègre désormais la question environnementale dans sa stratégie et ses opérations…
- Le secteur aérien est pointé du doigt en ce moment pour son impact négatif sur l’environnement. Qu’en est-il exactement ?
Avant toute chose, il me parait primordial de remettre les chiffres en perspective et de remettre un peu de rationnel autour du sujet de la contribution du transport aérien aux émissions CO2 dans le monde. L’aviation civile représente 2% des émissions mondiales soit l’équivalent d’un milliard de CO2 par an. On ne peut donc pas nier l’impact du secteur aérien sur l’environnement. Néanmoins, ce chiffre est à relativiser : on doit le comparer avec celui d’autres industries comme celui de la mode par exemple qui contribue pour 8% à l’émission de CO2 dans le monde, ou à celui de l’empreinte carbone liée au stockage des données et à l’électricité nécessaire pour connecter nos smartphones aux plateformes de streaming toujours plus nombreuses dans notre consommation compulsive et effrénée de vidéos que l’on observe de plus en plus dans nos comportements au quotidien... Nous devons également apprécier la performance énergétique du secteur aérien au regard d’un trafic mondial qui croît de manière exponentielle, deux fois plus vite que la croissance mondiale. Malgré cette hausse significative, l’ensemble des acteurs de l’aérien se sont engagés à stabiliser leurs émissions de CO2 à partir de 2020 et surtout, de les réduire par deux d’ici 2050. Ce sont des engagements forts, qui requièrent des investissements importants pour l’ensemble du secteur. Peu d’industries s’engagent à ce niveau et dans ces proportions. Oui, le secteur aérien a une empreinte carbone mais dans le même temps, nous mettons tout en œuvre pour réduire drastiquement notre impact sur l’environnement.
- Comment Air France intègre-t-elle désormais la question environnementale dans sa stratégie ?
« Agir » au sens propre du terme pour un « développement » plus durable, c’est précisément l’engagement au quotidien des femmes et des hommes d’Air France depuis de nombreuses années. L’équation est finalement simple : investir pour chercher plus, inventer encore, rendre l’avion toujours plus propre… ou contraindre par les taxes et se résoudre à une formidable régression dans les échanges et le rayonnement de notre pays. Air France s’est fixé un objectif ambitieux dès 2011, celui de réduire de 20% ses émissions de CO2 d’ici 2020 – objectif que nous avons atteint dès 2018 grâce à l’implication de tous nos métiers et tout azimut. Air France poursuit trois objectifs majeurs en matière de préservation de l’environnement : limiter et compenser ses émissions de CO2, réduire, recycler et valoriser ses déchets et enfin réduire son empreinte environnementale, notamment sonore. Sur les déchets par exemple, mieux les gérer, c’est supprimer les plastiques à usage unique à bord par des matériaux biosourcés. Cela nous permet de consommer 1300 tonnes de plastique à usage unique en moins chaque année ! Les pilotes sont évidemment pleinement partie prenante de cette ambition, à travers un ensemble de mesures appelées « green procedures ». Cela inclut par exemple le fait de rouler au départ et à l’arrivée avec un seul moteur et de rouler en électrique à moyen terme (green taxi). Dans la réalisation du vol, nous avons à notre disposition toute une batterie de procédures pour réduire notre signature carbone, dont notre procédure de croisière ascendante par exemple, qui consiste à rechercher l’altitude optimale pour consommer le moins possible tout au long du vol. Et en préparation de l’atterrissage, nous faisons en sorte de sortir les volets et le train le plus tard possible pour le confort sonore des riverains et pour une moindre consommation.
- Concrètement, comment arrivez-vous à réduire votre impact considérant que le cœur de votre activité consiste à faire voler des avions…
Nous nous appuyons sur de nombreux leviers. D’abord, l’investissement dans des outils et matériels plus performants. Les avions de nouvelle génération, Airbus 350 et Boeing 787 en tête, permettent de réduire la consommation de 20%. Ensuite, Air France pense et vole léger. Sans tabou, nous faisons la chasse à chaque gramme embarqué à bord de nos avions. . Un chiffre : 1 kg en moins sur tous les avions de notre flotte représente sur une année complète d’exploitation 69 tonnes de CO2 émis en moins.C’est considérable. Nous faisons donc en sorte de voler plus léger et cela inclut le matériel (les sièges notamment), la presse qui est désormais majoritairement digitale (la version papier d’Air France Magazine est recyclée ce qui représente 700 tonnes de papier par an) et les plateaux-repas entre autres. Nous visons 3 700 tonnes de CO2 en moins grâce à ces seuls aménagements. Un autre levier majeur, c’est la performance opérationnelle. Au-delà de l’exigence de sécurité qui est notre impératif absolu, la ponctualité constitue évidemment une exigence forte pour nos clients mais aussi pour nous. C’est également un moyen de consommer moins de carburant : un avion qui décolle à l’heure, c’est ne pas avoir recours à l’accélération du vol pour rattraper le retard et optimiser l’utilisation des moyens autour de l’avion sur les escales de départ et d’arrivée. Au sol, 50% de nos véhicules de piste sont déjà électriques. D’ici la fin de l’année, nous allons remplacer la motorisation de nos tapis à bagages par des batteries issues du recyclage de batteries automobiles ce qui permettra de réduire les émissions de CO2 de 3 tonnes par an et par tapis.
- La technologie est-elle une alliée pour réduire votre empreinte environnementale ?
Complètement. Les pilotes sont désormais de plus en plus connectés pendant le vol, les informations réactualisées en temps réel. Cela nous permet d’affiner nos choix tactiques tant du point de vue de la sécurité que de la signature carbone du vol. Autre exemple, nous devrions tester une solution développée par une startup française, Open Airlines, qui permet d’optimiser les routes qu’empruntent nos avions en fonction de différents paramètres (météo, maintenance, plans de vol, etc.). Sur la base des données techniques des vols, le logiciel s’appuie sur le Big Data et l’Intelligence artificielle pour faire des recommandations aux compagnies aériennes et aux pilotes. L’enjeu : réduire encore jusqu’à 5% la consommation de carburant. Quand on sait que le carburant représente le premier poste de coût des compagnies aériennes, on comprend que c’est une incitation certaine à faire rimer écologie et économies.