Redonner aux personnes en situation de handicap la capacité de communiquer, c'est la noble ambition de WYES. Cette "start-up altruiste" s'apprête à lancer son premier dispositif inclusif : une paire de lunettes connectées, simple d'utilisation, qui permet de communiquer avec les yeux.

Ne sous-estimez pas le pouvoir de vos rêves d’enfant : ils donnent parfois vie aux plus belles histoires. Celle de la start-up WYES et de son co-fondateur Maxime Loubar, par exemple. À l'âge de huit ans, il voit sa grand-mère tomber malade. Les médecins diagnostiquent une forme héréditaire de la maladie de Creutzfeld-Jakob. Maxime assiste à la lente dégradation, à l'inéluctable évolution des symptômes. "Au début, elle s'essoufflait davantage lors de nos promenades. Puis elle a eu du mal à se déplacer ; quand elle s'est retrouvée complètement incapable de marcher ; on l'a installée dans un fauteuil. Et ainsi de suite…" Sa grand-mère perd ensuite l'usage de ses membres supérieurs, puis de la parole. La seule partie de son corps dont elle gardera toujours le contrôle est ses yeux. "Je me suis promis alors que j'allais, un jour, trouver une solution pour l'aider. C'est pour elle, et pour toutes les personnes dans son cas, que j'ai décidé d'être ingénieur." Ou plutôt "inventeur", selon l'imaginaire et le vocabulaire de ses 8 ans.

Cette promesse faite à lui-même, il ne la reniera jamais. Elle conditionnera son parcours, sa vie, son engagement. Maxime suit un cursus scientifique, étudie sans relâche et intègre l'école d'ingénieurs ECE Paris. Son avenir paraît alors tout tracé : travailler pour une entreprise établie, accumuler de l'expérience puis, "vers 40 ans", réfléchir à une solution pour aider les personnes malades ou en situation de handicap. Les circonstances et les rencontres en décideront autrement. Les étudiants de son école doivent chaque année réaliser un projet scientifique, en petit groupe. "J'ai parlé de ma grand-mère et de mes rêves d'invention à ma meilleure amie, Sarah Mougharbel." La jeune femme suit en parallèle de l'ECE un double cursus de linguistique et d'informatique. "C'est elle qui a eu l'idée d’utiliser l'œil comme une commande, pour permettre de retrouver une communication fluide."

Du prototype à la Médaille d’Or du Concours Lépine

C'est l'acte de naissance des lunettes innovantes. Capables de détecter les mouvements et les clignements volontaires des yeux, elles les "convertissent" en clics de souris, via une application et un boîtier dédié. Les personnes peuvent ainsi naviguer sur un smartphone ou une tablette, former des mots, des phrases, communiquer… Revivre. Une avancée spectaculaire et un immense espoir pour des millions de personnes malades ou en situation de handicap. Maxime et Sarah, épaulés par différents élèves, consacrent à ce projet leurs 4ème et 5ème années d'école. Leur prototype leur vaut une invitation au Concours Lépine, à la Foire de Paris. "Nous y sommes allés avec un premier modèle de lunettes qui tenait avec du scotch, trois bouts de ficelle… Mais qui, heureusement, fonctionnait !" sourit Maxime.

Cette expérience marque un premier tournant. Le prototype remporte trois Prix, dont la prestigieuse Médaille d'Or, rejoignant au palmarès des inventions aussi populaires que le stylo à bille, le fer à repasser ou les lentilles de contact. Surtout, dès le premier jour, de nombreux curieux s'arrêtent sur le stand, montrant leur intérêt et leur soutien. "Pour garder une trace de ce beau moment", la petite équipe revient le lendemain avec un livre d'or, invitant les visiteurs à y laisser des messages. "En les lisant, nous avons découvert de nombreux mots d'encouragement, des témoignages très touchants. On s'est rendu compte qu'il n'était pas possible de s'arrêter là, pas possible d'attendre vingt ans…. Alors on s'est lancés."

Redonner la parole avec les clignements des yeux

Mais de l'idée au dispositif final, la route est longue, semée d'embûches. Méconnaissance des arcanes administratifs, contraintes de la gestion d'entreprise, et surtout innombrables défis – techniques, financiers, technologiques – à relever : les premiers temps sont difficiles. Le projet est alors hébergé au sein de l'incubateur de leur école d’ingénieurs. C'est là que Pierre Jankowiez, un ami de Maxime lui aussi "incubé", accepte de rejoindre l’équipe. "On discutait souvent, Pierre nous donnait des coups de main sur le code, la technique, la soudure. C'est quelqu'un de très intelligent, technophile et bricoleur ; il a aussi envie d'aider les autres, de donner du sens à ce qu'il fait. Grâce à lui, le projet a vraiment gagné en ingéniosité et en qualité technique."

En octobre 2020, les trois amis créent leur entreprise, WYES, pour "When Your Eyes Speak", avec une ambition renouvelée. Ils rejoignent l'incubateur de Paris-Dauphine où Maxime avait continué ses études dans un Master en Affaires internationales et Développement, équipent un atelier à Nancy dans l'appartement de Pierre, investissent dans des machines-outils et une imprimante 3D, travaillent sans relâche, peaufinent les prototypes tout en les présentant aux patients et aux équipes soignantes. "Je me souviens d'une femme qui testait notre dispositif pour la première fois. Son mari se tenait à ses côtés ; elle l'a regardé et a pu lui parler. Ses premiers mots ont été "Je t'aime"… Je repense aussi souvent à Ulysse, un jeune atteint par une infirmité motrice cérébrale, qui a réussi à écrire et faire lire son prénom. Son regard, sa joie… C'était juste merveilleux. Quand on a des doutes, des difficultés, ce sont ces moments-là qui nous accompagnent, nous encouragent, nous poussent à continuer."

Objectif commercialisation

Ces échanges avec les patients et le personnel soignant, c’est la démarche de WYES depuis le début : le co-développement. Cela donne ainsi lieu à des critiques constructives et des idées nouvelles, qui aident à améliorer les lunettes. Avec une double exigence : proposer un produit performant, à un prix raisonnable. Car il existe d’autres dispositifs de communication "alternatifs et augmentés", dont certains coûtent jusqu'à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Impensable, aux yeux de la jeune équipe. "Il n'y aurait pas de logique à développer un dispositif inclusif pour le vendre à un prix exclusif. On tient à ce qu'il demeure accessible, en termes d'universalité, d'ergonomie mais aussi financièrement." De cette contrainte naît aussi de l'inventivité. Pour réduire les coûts, WYES utilise ainsi des capteurs infrarouges plutôt que des caméras oculaires. L'entreprise a aussi breveté un algorithme qui distingue les clignements volontaires des battements de cils naturels. WYES développe maintenant une intelligence artificielle capable d'interpréter les mouvements des muscles autour des yeux. L'objectif : maximiser le nombre de "commandes" possible tout en personnalisant l’algorithme pour chaque utilisateur.

Aujourd’hui, WYES se trouve à un moment clé. "Nous tenons enfin notre premier MVP [Minimum Viable Product] et nous souhaitons maintenant le faire tester à grande échelle". Il pourrait aider les personnes tétraplégiques et polyhandicapées, souffrant de la Maladie de Charcot (SLA), d’un Locked-In Syndrome (LIS), d’une infirmité motrice cérébrale, d’une myopathie, d’une sclérose… Le trio d'inventeurs fait donc le tour de France cet été, pour le présenter aux patients et aux maisons d'accueil spécialisées. Il vient aussi de lancer une campagne de crowdfunding pour produire sa première série et vise une commercialisation en 2022. Avec toujours d'innombrables idées, des envies qui déplacent des montagnes et le sens des responsabilités. "Je ressens une sorte d'effervescence. Quand on s'est lancés, on ne savait pas vraiment où on allait, ni si nos lunettes fonctionneraient. On réalise aujourd'hui que tous nos efforts, tous nos sacrifices n'ont pas été vains. On sait que nous pouvons améliorer la vie de millions de personnes dans le monde, et on a hâte." Franchement, nous aussi.

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A PROPOS DE L'EXPERT

Wyes

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Wyes développe des dispositifs de communication inclusifs pour les personnes en situation de handicap