Samuel Huaux

Samuel Huaux

Vice-Président Expert en charge des offres Cloud pour les services financiers au sein de CGI.

Malgré une prise de conscience grandissante des avantages que présente le cloud, le secteur bancaire continue de naviguer dans un environnement complexe, marqué par des contraintes réglementaires, des défis techniques et une forte concurrence. En 2025, l'adoption du cloud par les banques est en pleine transformation, avec des tendances clés qui façonnent leur approche - retard initial du secteur, impact des systèmes legacy, préférence pour le cloud privé et ouverture progressive au cloud de confiance. Décryptage avec Samuel Huaux, Vice-Président Expert en charge des offres Cloud pour les services financiers au sein de CGI.

Le secteur bancaire est en retard en matière d’adoption du cloud, mais progresse. Comment peut-on expliquer cette situation ?

Samuel Huaux : C’est vrai, le secteur bancaire a adopté le cloud plus lentement que d'autres secteurs. Cela s’explique principalement par sa culture axée sur la prudence et la gestion des risques. Par ailleurs, les préoccupations – légitimes – concernant la sécurité des données et la conformité réglementaire ont aussi freiné l'adoption du cloud. En 2024, selon notre étude mondiale « La Voix de nos Clients », seuls un peu plus d’un quart des répondants du secteur bancaire déclarent avoir migré plus de 60% de leurs applications vers le cloud. Ceci est inférieur à la moyenne globale ainsi qu’à celle des autres secteurs. Cependant, les banques sont désormais conscientes des avantages du cloud en matière d'agilité, d'innovation et de réduction des coûts.

Pour quelles raisons les banques choisissent-elles d’accélérer en matière de cloud ?

S.H. : Les banques se tournent vers le cloud pour améliorer leur efficacité opérationnelle, personnaliser leurs services et accélérer le lancement de nouveaux produits. La transformation digitale devient une priorité pour rester compétitif. BforBank, banque en ligne du Crédit Agricole, illustre complètement cette tendance. La banque a refondu sa plateforme et choisi le cloud public de Google pour héberger ses opérations et son core banking system, avec l'ambition de gagner trois millions de clients1.

Le poids du legacy est plus important dans le secteur bancaire que dans les autres. Pourquoi ?

S.H. : Le legacy est en effet un frein majeur à la transformation numérique et à l’innovation des acteurs bancaires. Toujours selon notre étude, un tiers des répondants affirment d’ailleurs que leur legacy constitue un défi. Les banques s'appuient souvent sur des mainframes, des systèmes coûteux, vétustes, complexes, donc in fine difficiles à moderniser. Les tentatives pour réduire l'importance de ces systèmes ou les adapter au digital ont souvent été infructueuses. Cette situation rend la migration vers le cloud plus coûteuse et compliquée pour les banques comparé à d’autres secteurs. Enfin, quand elles migrent, les banques doivent non seulement assurer cette transition, mais aussi maintenir leurs systèmes existants en fonctionnement, un autre poste conséquent de dépense.

Le secteur bancaire utilise plus largement que les autres le cloud privé par rapport au cloud public. Pour quelle raison ?

S.H. : Effectivement, en 2024, 93% des banques utilisent le cloud privé pour leurs opérations internes, et 83% pour leurs clients. À l'inverse, seules 71% d’entre elles utilisent le cloud public pour un usage interne, et 43% pour leurs clients.2 Cette préférence est justifiée par la confidentialité des données, les exigences de sécurité et la conformité réglementaire. Les banques manipulent des informations sensibles et sont soumises à des réglementations strictes en matière de protection des données. Le cloud privé offre ainsi un plus grand contrôle et une sécurité accrue.

Pourtant, on observe une ouverture progressive vers le cloud de confiance et le cloud hybride…

S.H. : On constate cette tendance, oui. Le cloud hybride permet de combiner les avantages du cloud privé (sécurité et contrôle) et du cloud public (flexibilité et évolutivité). Le cloud de confiance, lui, garantit que les données sont stockées et traitées en conformité avec les réglementations locales. Cette tendance vers le cloud hybride est confirmée par l'augmentation des usages de tous types de cloud. Les banques cherchent à bénéficier des innovations technologiques des fournisseurs de cloud public tout en assurant leur sécurité. Citons le cas d’une grande banque européenne qui a adopté une approche multicloud et hybride, s’appuyant à la fois sur des hyperscalers et sur son propre cloud privé de deuxième génération. L'optimisation des ressources financières dans le cloud (FinOps) devient aussi un enjeu majeur. Le concept de "security as code" et les plateformes de données Native Data Cloud sont adoptés pour développer des applications et accélérer la transformation. Les banques doivent faire face à la complexité de ces systèmes cloud et disposer d’une stratégie solide.

Les enjeux et besoins des banques sont énormes en matière d’adoption du cloud. Quel est à votre sens le plus grand frein à cette ambition ?

S.H. : Je dirais, sans aucun doute, la pénurie de compétences que connait le secteur bancaire depuis plusieurs années. Les difficultés à trouver des ressources qualifiées constituent un défi majeur pour les banques. Cela est peut-être dû à l’image du secteur, très réglementé et considéré parfois comme peu attractif pour les jeunes talents. En tout état de cause, les banques peinent à recruter des experts de la tech, ceux-là mêmes qui mettront en œuvre les projets cloud. Sans compter sur d’autres facteurs clés : le fait que de très nombreux cadres vont massivement partir à la retraite dans les années à venir et que les enjeux de recrutement vont être décuplés, le poids des systèmes legacy qui requièrent des investissements massifs pour basculer vers le cloud et, enfin, le fait que les cloud privés n'attirent pas car ils sont hors champs de compétence des talents disponibles sur le marché.

Pour finir, si vous deviez résumer en quelques mots les enjeux du cloud pour les banques en 2025, que diriez-vous ?

S.H. : En 2025, le secteur bancaire sera en pleine mutation en matière de cloud. Les banques, bien que confrontées à des défis persistants liés au legacy et aux réglementations, progressent dans leur adoption. L'accent est mis sur la sécurité, la confidentialité et la conformité, avec une préférence pour le cloud privé et une ouverture progressive vers le cloud de confiance. Les tendances comme le FinOps et le multi-cloud montrent que les banques cherchent à optimiser leur approche cloud pour bénéficier de ses avantages tout en maîtrisant les risques. La nécessité de s'adapter aux nouvelles attentes des clients et à la concurrence des acteurs digitaux, couplée aux enjeux de souveraineté numérique, va continuer à façonner l'évolution du cloud dans le secteur bancaire.


[1] https://www.larevuedudigital.com/la-banque-digitale-bforbank-du-credit-agricole-mise-sur-le-100-cloud-public/

[2] Etude mondiale de CGI, « La Voix de nos Clients »