Confort, écologie et autonomie : les taxis Hype, à Paris, constituent la première flotte de véhicules hydrogènes au monde. Avec l'ambition de résoudre les problèmes causés par la pollution de l'air.
De jolies voitures bleues, qui glissent silencieusement dans les rues de la capitale et ne laissent dans leur sillage ni CO2, ni particules fines, juste un léger nuage de vapeur d'eau. Le rêve de Mathieu Gardies est en train de devenir réalité.
Tout a commencé il y a quelques années, par une promenade en poussette. "Mes quatre enfants ont tous grandi à Paris, et tous ont connu des problèmes de respiration. Un jour, je suis sorti avec mon petit dernier. Les rues du quartier étaient encombrées, polluées, et lui respirait à la hauteur de tous les pots d'échappement. J'ai réalisé que ça ne pouvait pas continuer, qu'il nous fallait inventer de nouvelles formes de mobilité pour les villes de demain. Les habitants des grandes villes n'ont plus forcément besoin d'une voiture particulière, mais il faudra toujours des taxis et de l'autopartage".
Cet ancien ingénieur et consultant financier décide alors de créer sa société et de proposer des véhicules non-polluants aux taxis et VTC, pour une ville plus propre. Après s'être intéressé à l'électrique, il se tourne rapidement vers une technologie complexe, mais prometteuse : les voitures à hydrogène.
Une filière à inventer
Sa compagnie de taxis, lancée en 2015 pendant la COP 21, compte aujourd’hui "100 véhicules, 62 Hyundai iX35 et 38 Toyota Mirai". Tous fonctionnent sur le même principe : une pile à hydrogène produit, avec l’oxygène de l'air, de l'énergie qui alimente un moteur électrique, offrant "les mêmes avantages que les autres véhicules électriques, mais sans les inconvénients". Ces voitures roulent en effet en souplesse, sans bruit et sans les à-coups liés aux changements de vitesse, "ce qui offre un super confort pour le chauffeur comme pour les passagers", et ne rejettent aucun polluant dans l'atmosphère. Elles bénéficient d'une autonomie élevée – 500 kilomètres environ – et surtout d'un temps de recharge très réduit, qui n'excède pas quelques minutes. "D'où l'intérêt de l'hydrogène pour les gros rouleurs, comme les taxis et les VTC, qui à l'inverse des particuliers ne peuvent se contenter de recharger leurs voitures plusieurs heures la nuit ou sur le parking du bureau".
Mathieu Gardies doit pourtant affronter un problème de taille : plus qu'une simple entreprise, c'est toute une filière, industrielle et économique, qu'il doit participer à mettre en mouvement et à faire accélérer. Le premier écueil concerne le manque de véhicules disponibles, que seule une poignée de constructeurs a choisi de produire. "Avec nos cent véhicules, nous avons aujourd'hui la plus grande flotte hydrogène du monde. Mais c'était déjà le cas quand nous ne possédions que cinq voitures !"
Le second défi est d'ordre financier. Les véhicules à hydrogène coûtent cher à l'achat – quelque 60.000 euros – comme au quotidien, puisqu'un kilo de carburant, qui permettra d'effectuer une centaine de kilomètres, coûte aujourd'hui entre 10 et 15 euros. Un problème "d'œuf et de poule, qui nous a longtemps pénalisé. Moins il y a de véhicules, plus ils coûtent chers, et vice-versa. Mais on est dans une phase d'investissement, on assume ces coûts d'exploitation. Les voitures que j'achète aujourd'hui sont moins chères qu'il y a 3 ans," explique Mathieu. D'où sa satisfaction d'avoir signé en février dernier un partenariat qui devrait permettre à Hype et à la filière hydrogène française de changer d'échelle. Ce nouveau consortium, Hysetco, réunit le constructeur japonais Toyota, le spécialiste de l'hydrogène Air Liquide et l'acteur de l'efficience énergétique Idex ainsi que la STEP (Société du taxi électrique parisien), qui a lancé la flotte Hype.
Cercle vertueux et JO en ligne de mire
En "partageant les risques et les investissements, et en sécurisant notre approvisionnement en véhicules", Hysetco espère donner un coup d'accélérateur à la filière. La région parisienne ne compte pour l'instant que quatre stations de recharge (Pont de l'Alma, Orly, Loges et Roissy), et l'ambition d'Hysetco est de les agrandir pour multiplier par quatre leurs capacités. En parallèle, la flotte de taxis Hype va sensiblement grossir, jusqu’à compter 600 véhicules à hydrogène fin 2020. Il s'agira pour la quasi-totalité de Toyota Mirai (« futur » en japonais), 145 chevaux et 500 kilomètres d'autonomie.
"Nous avons choisi d'avancer de façon coordonnée : on augmente la taille de notre flotte de véhicules au fur et à mesure qu'on déploie de nouvelles stations ou qu'on augmente leurs capacités. Ce changement d'échelle permettra aussi d'accélérer la baisse des coûts et de passer un cap," se réjouit Mathieu. Qui se félicite aussi de ne pas connaître les traditionnels problèmes des jeunes entreprises : trouver des clients. "Tous ceux qui testent nos taxis en sortent convaincus et désireux de faire appel à nous ! Mais jusqu'à présent, notre problème était plutôt de leur proposer suffisamment de taxis et de réduire le temps d'attente."
Des clients d'autant plus séduits par ces trajets non-polluants que le prix de leurs courses, conforme à la réglementation, est exactement le même que pour un taxi thermique. Restera alors à Hype à réussir le changement d'échelle, avec en ligne de mire les Jeux Olympiques de 2024, à Paris, qui pourraient convaincre les pouvoirs publics de s'engager dans une transition massive vers le zéro émission grâce à l'hydrogène. "On ne les attend pas pour avancer, on prépare et on démontre, mais on les mettra à un moment clairement face à leurs responsabilités. A partir du moment où des solutions existent pour rouler sans polluer, ce n'est tout simplement plus possible de les ignorer. Notre premier driver, c'est la qualité de l'air : une urgence de santé publique, 67 000 morts prématurés par an en France, pour laquelle il est possible d'agir dès aujourd'hui de manière locale, directe, efficace. C'est ce qu'on fait."