La relation entre digital et agroalimentaire parait au premier abord nettement moins immédiate que pour d’autres secteurs d’activité. Cependant, ce secteur n’échappe pas à la révolution numérique.
Les grands enjeux du digital pour l’industrie agroalimentaire : état des lieux et grandes tendances
L’agroalimentaire se trouve confronté à des défis majeurs dont les réponses constituent autant d’enjeux pour le secteur. Les changements démographiques, les changements de mode de vie et de consommation induits obligent les acteurs du secteur à revoir leur stratégie à destination des consommateurs. La mondialisation crée une situation de concurrence à laquelle les acteurs du secteur doivent faire face. La crise du business model des principaux clients que sont les Grandes Moyennes Surfaces (GMS) est une variable que le secteur de l’agroalimentaire doit aussi prendre en compte. Enfin, les bouleversements technologiques constituent autant d’« enablers » et les consommateurs deviennent de plus en plus familiarisés avec l’utilisation de ces technologies dans leur vie quotidienne. Ces défis se couplent aux enjeux créés par l’essor du digital.
Le secteur de l’agroalimentaire est aujourd’hui en pleine mutation. 4 grandes tendances la caractérisent :
1. La relation directe 360° avec le consommateur final
C’est naturellement l’enjeu par lequel l’agroalimentaire est arrivé au digital, depuis de nombreuses années déjà, sous l’impulsion des directions marketing alors chargées du digital. Depuis, on assiste à une course de vitesse entre les distributeurs et les industriels et les industriels entre eux pour la donnée consommateur, nerf de la guerre pour établir une relation interactive montante et descendante. De plus, pour construire cette relation à 360° avec le client, les industriels de l’agroalimentaire se doivent de remplir deux conditions aux préalables :
- Maitriser la collecte et la valorisation des données. Cela suppose d’abord des systèmes d’information (SI) présentant un niveau d’intégration suffisant. Puis la capacité à exploiter pleinement cette donnée grâce notamment aux « data scientists ».
- Avoir des organisations réellement centrées sur les clients consommateur (« customer centric »), et non plus sur les clients distributeur et/ou produit et/ou industrie.
2. La traçabilité totale, ou comment transformer les contraintes en opportunités
La traçabilité résulte d’abord de contraintes règlementaires classiques. Elle répond aussi à des enjeux d’image voire de qualification suite aux nombreuses crises et scandales agroalimentaires en Europe et dans le monde, ainsi qu’à la menace de contrefaçon sur certains produits. Cette contrainte peut être source d’opportunités y compris dans le domaine marketing et commercial. L’industriel peut ainsi communiquer sur la maitrise du produit de la fourche à la fourchette, de l’étable à la table ; mais aussi fournir des informations sur le lieu de vente aux clients équipés d’un smartphone, capturer des données personnelles et envoyer des promotions personnalisées en temps réel grâce au dispositif de marquage combiné à la géolocalisation, voire proposer des services.
3. La numérisation du monde agricole, un véritable avantage concurrentiel
La numérisation du monde agricole répond à un objectif de traçabilité totale, de sauvegarde et de développement des filières. À cela s'ajoute une forte opportunité de réduction des couts. Il s’agit d’améliorer la performance des agriculteurs et de garantir l’approvisionnement des unités industrielles, tout en préservant l’environnement et en optimisant l’utilisation des ressources grâce à l’apport des nouvelles technologies, qui permettent un pilotage fin en temps réel (intraparcellaire, à la tête de bétail), basé sur de la collecte, de l’analytique et du prédictif par le croisement de multiples données (« Big Data » agricole). Les bénéfices de l’Internet des objets (IoT) couplés à un SI capable de traiter de grands volumes de données : un avantage certain pour l'industrie agroalimentaire.
4. L’industrie 4.0
L’industrie 4.0 est basée sur des avancées technologiques des équipements rendues possibles grâce au digital (dont l’impression 3D, la robotique et machines CNC adaptatives, IoT…). Elle permet également d’établir une inter-connectivité sans couture Hommes-Machines, y compris avec les entreprises partenaires (fournisseurs, prestataires logistiques), ainsi que de collecter et d’exploiter des données de production à des fins prédictives. Mais au-delà de la productivité et de la baisse des couts, l’industrie 4.0 impacte aussi l’innovation, le développement produit et la réduction du Time to Market. Cela répond à des enjeux capitaux pour le secteur : dégager la rentabilité nécessaire pour financer l’investissement et la croissance interne et externe, personnaliser des produits aussi bien pour les industriels agroalimentaires B2B que B2C.
L’industrie 4.0 reste peu présente dans l’industrie agroalimentaire au niveau mondial. Au niveau européen, la France est en retard sur ses voisins, notamment l’Allemagne.
Un niveau de maturité numérique très hétérogène selon les entreprises
Globalement, l’agroalimentaire n’est pas l’industrie pionnière du digital, pour des raisons évidentes tenant à la nature même de son métier. Il n’est donc pas surprenant que les acteurs agroalimentaires les plus avancés soient les plus grands groupes, les plus structurés et/ou ceux relevant du secteur du Luxe, à l’instar de L’Oréal dans les produits de grande consommation. Ainsi, les leaders dans le domaine sont Pernod Ricard, Moët Hennessy et Danone.
Les leaders se caractérisent par la mise en place de structures digitales dédiées depuis plusieurs années, positionnées à un haut niveau dans l’entreprise avec un CDO à leur tête, indépendantes de la DSI ou de la direction marketing et diffusant la culture digitale dans toute l’entreprise.
Le gros du peloton comprend un grand nombre d’entreprises qui se structurent sur le sujet et commencent à réfléchir de façon plus globale puis à lancer des initiatives au-delà des traditionnelles actions marketing dispersées et au coup par coup. Ces entreprises sont très diverses en termes de sous-secteurs et de tailles, comprenant aussi bien des grandes sociétés que des ETI voire des PME-PMI.
Enfin, on trouve un nombre conséquent d’entreprises plus en retrait sur le digital, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, on ne trouve pas dans ce groupe que des petites entreprises ou des entreprises à faibles marges. Ces dernières restent sur des initiatives localisées et ponctuelles, essentiellement marketing et se veulent très pragmatiques sur le sujet. Cela est lié à plusieurs facteurs, non exclusifs les uns des autres :
- Les entreprises non encore dotées d’un SI intégré à l’état de l’art, et donc occupées par ce chantier,
- La méfiance à l’égard du digital chez certains dirigeants, non seulement de « l’effet de mode », mais aussi des changements de paradigmes qu’il induit,
- Les entreprises dont le modèle de gouvernance se prête difficilement aux initiatives transverses (modèles très décentralisés avec de nombreuses BUs très autonomes).
La transformation digitale reste un processus difficile et complexe. La raison en est simple : les entreprises agroalimentaires héritent d’une histoire avec laquelle il faut composer pour transformer ou du moins faire évoluer leur business model. Les pistes pour réussir sont nombreuses, la culture de l’innovation en tête, mais également des initiatives sectorielles comme la numérisation du monde agricole, « l’Industrie 4.0 » ou des modèles établis comme l’omnicanal.