Pour les banques et les assurances, la plateformisation devient un levier stratégique pour capter de nouveaux marchés, diversifier ses revenus et distribuer ses produits financiers. Il ne s’agit pas d’un projet seulement technologique.
Dimension stratégique et économique, nouvel écosystème digital et innovation associée... : le modèle de déploiement de la plateformisation constitue un véritable projet de transformation qui doit accompagner l’ouverture vers le monde extérieur pour pleinement tirer parti de nouveaux paradigmes d’engagement entre acteurs traditionnels et monde des startups et Fintech, au service d’une expérience client enrichie. Interview de Stéphane Houin, Vice-Président en charge des offres digitales pour les services financiers chez CGI.
Pourquoi les acteurs du secteur financier ont-ils besoin d’être accompagnés lors de la phase amont de la mise en place d’une marketplace ?
Nous avons besoin, en tant que conseil et intégrateur, de qualifier précisément l’ambition de nos clients mais aussi d’apprécier leur maturité vis-à-vis de leur projet de marketplace. Il est important de vérifier que celui-ci ne se limite pas à la création d’une simple jolie boutique en ligne. En initiant ces échanges au plus tôt, on peut construire une vision commune sur la dimension stratégique et économique de la démarche. Dans cette approche, il est fondamental d’identifier les impacts sur la chaîne de valeur. Quels maillons de la chaîne de valeur vont changer de main ? Quelles implications sur la nouvelle répartition des rôles et responsabilités ? Nous ne sommes pas face à un phénomène de disruption mais de nouvelle dimension partenariale pour l’entreprise. La question des leviers de croissance activés (réseau de distribution et catalogue d’offres) afin de nourrir son ambition doit également être traitée en amont du projet. Pour atteindre les objectifs de la marketplace, il peut être nécessaire de faire évoluer son modèle de distribution (B2C, B2B ou B2B2C) ou son catalogue d’offres.
Quel est le premier objectif à identifier ?
Il faut commencer par cartographier le nouvel écosystème partenarial requis pour le projet et les ambitions business associées. On distingue trois catégories de partenaires. D’abord, les partenaires distributeurs, dans le cas d’un mécanisme d’intermédiation en configuration B2B. C’est par exemple la vente d’une assurance mobilité avec l’achat d’un vélo assisté électriquement. Ensuite, les partenaires producteurs de produits et services qui permettent d’approcher les nouveaux acteurs du marché de type Fintech et Insurtech pour un positionnement d’offre différenciant et moderne. Enfin, les partenaires business et technologiques qui peuvent être nécessaires sur les projets les plus ambitieux avec une démarche de cofinancement et de co-construction. Cette première étape peut avoir des répercussions sur le business model de l’entreprise et sur les leviers de croissance possibles. Les points structurants, à identifier au plus tôt, sont la proximité souhaitée avec le client final et la paternité de la création des produits et services que l’on va proposer dans le catalogue, de leur définition commerciale et technique.
En quoi l’ensemble de ces éléments est-il nécessaire pour la suite de l’initiative marketplace ?
L’identification et la pré configuration du nouvel écosystème digital doivent être mises en regard des ambitions stratégiques. Le positionnement de la marketplace ne peut être dissocié de ses points d’ancrage technologiques internes (vis-à-vis du système d’information de l’entreprise) et externes (vis-à-vis des systèmes d’information des partenaires) et doit répondre à une approche pragmatique face aux dispositifs technologiques internes existants. Les questions à aborder sont les suivantes :
- quel budget d’investissement requis (pour de nouvelles briques, par exemple signature électronique, PSP, CRM, MARKETING…) ;
- quel plan de mise en œuvre possible (de 9 mois pour les projets les plus simples à 36 mois pour les plus complexes et structurants) ;
- quelle qualification éventuelle des business case, à partir de la roadmap produit, en cas de nécessité de se rassurer sur la feuille de route proposée pour la construction de la solution et la pertinence du plan d’investissement.
Un projet de marketplace constitue un levier de transformation majeure. Quels sont les points structurants du modèle de déploiement de la plateformisation ?
Le premier élément clé, c’est le système d’information. L’objectif est de l’ouvrir vers l’extérieur pour faciliter les interactions avec la marketplace, et éventuellement avec le nouvel écosystème partenaire.
Les points d’impacts majeurs de cette ouverture sont
- l’API Management - il faut construire la bonne couche d’intermédiation sécurisée, anticiper les futurs besoins (tels que la monétisation et le référencement des APIs tierces) ;
- l’open compliance du legacy historique et du back office - il faut gérer l’obsolescence technologique, et cela nécessite parfois une redéfinition des produits ou la construction d’un nouveau back office ;
- la gestion des flux financiers / comptables : il faut savoir plugger des back office externes sur les avals du SI bancaire et assuranciel pour opérer la réconciliation entre les flux financiers (marketplace) et les flux comptables (intervenants externes).
Au-delà de la dimension technologique, la culture est un second élément structurant. Tout projet de marketplace embarque une nouvelle dimension partenariale forte, un volet industriel. Les enjeux d’onboarding sont clés et doivent être traités grâce à l’automatisation et la sécurisation des processus de recrutement, dans un contexte fortement réglementaire et sécuritaire (AM[1]L/KYC[2]). L’animation partenariale prend également une nouvelle dimension : suivi de son activité (reporting), information sur les nouvelles opportunités (campagnes marketing sur les produits et services) et formation (elearning) sur les produits.
Quid de l’organisation et de la méthodologie ?
Je dirais effectivement que les impacts organisationnels et la méthodologie viennent ensuite. La mise en place d’une marketplace entraîne un nouveau modèle opérationnel. De nouveaux profils et activités sont déployés dans une organisation pluridisciplinaire entre l’IT et les métiers (développement, juridique, gestion, conformité). Une démarche d’innovation incrémentale permet de soutenir la dimension « industrielle » du projet et de donner une nouvelle agilité au bénéfice du time to market. Cette innovation incrémentale permet de valider les premières hypothèses stratégiques, de modérer les investissements, et mesurer les résultats à chaque étape. Enfin, l’ouverture de l’entreprise vers l’extérieur, dans un contexte fortement réglementé, impose de traiter des aspects juridiques selon le modèle de distribution souhaité (B2B, B2C, B2B2C) :
- CGU (B2B ou B2B2C) à mettre en regard des moyens de souscription mis à disposition (parcours de souscription, API de souscription, marketplace, …) ;
- RGPD (localisation des données stockées, origine et statut du fournisseur du service d’hébergement, Schrems II, ...) ;
- Matérialisation du devoir de conseil, signature électronique et parcours de souscription : la constitution, la formalisation et la validation finale du devoir de conseil.